Autour de la thèse « Réenchanter les déprimé·es. La thérapie en clinique privée »

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mar, 3 Déc 2024 - 16:00
mar, 3 Déc 2024 - 18:00
#Séminaire
Marlène Bouvet (Centre Max Weber)
CLSH salle A104

Résumé de la thèse :

Ethnographie en clinique psychiatrique, cette recherche étudie les processus de production et de réception des Thérapies Cognitives et Comportementales, déployées dans l’hospitalisation volontaire alors que le public des institutions privées lucratives connaît une massification historique. 50 entretiens, 214 Dossiers Patients, une cinquantaine de groupes de parole et Réunions Soignants servent l’analyse du rapport à la thérapie de personnes de 18 à 94 ans, dont le spectre s’étend des classes populaires stabilisées aux classes supérieures intellectuelles et économiques. Cette thèse compare, via l’inculcation de techniques de gestion des émotions (EMDR, respiration, sismothérapie), le travail de transformation des dispositions relationnelles, affectives et introspectives d’individus sujets à la dépression, bipolarité, phobie sociale, épuisement professionnel, troubles dissociatifs. Du côté de la production des schèmes psy, les infirmier.es, psychiatres et psychologues opèrent une double démarche : psychologisation et biologisation des trajectoires sociales, et régulation compassionnelle des émotions par des gestes, paroles et techniques de consolation (« réassurance »). Leur « sens social » détermine leur façon de catégoriser les malheurs sociaux, d’objectiver la forme et les causes des déviances émotionnelles, et de choisir le « mot juste » dans les pratiques conversationnelles de care. Empruntant fortement à la « forme scolaire », ces professionnel.les prescrivent un travail de rectification des sentiments et prennent le parti des individus dans la renégociation de leurs relations professionnelles et affectives. Ce travail revêt une dimension paradoxale. D’une part, il pointe des « schémas de personnalité inadaptés », invisibilisant le social, rendant les individus responsables de leur destinée, leurs déboires et l’issue de la thérapie. Les violences sexuelles, le « burn out », l’expérience scolaire douloureuse des classes populaires, le travail domestique sont retraduits en « traumas » individuels. Mais d’autre part, via l’insistance sur les déterminants cérébraux et nerveux du « stress », les soignant.es légitiment un « statut de malade » contesté à l’extérieur, attribuent souvent un « statut de victime » et redéfinissent de façon moins élitiste les représentations du déclassement social. Les professionnel.les du psychisme connaissant des évolutions démographiques (féminisation, diversification des sexualités), leurs dispositions professionnelles sexuées les rendent perméables aux discours médiatiques sur la domination de genre (#MeToo). Côté réception, cette enquête interroge les appropriations différenciées et inégales de la thérapie, analysant le rôle de la distance sociale soignant.es/patient.es dans le (dé)goût pour l’exercice. Elle saisit la thérapie comme un dispositif culturel et une relation sociale, entre rapports sociaux – de classe, genre, âge, appartenance socioethnique – et ajustements réciproques. Elle mobilise le concept d’« habitus compatibles » pour examiner, de façon dynamique, les conditions sociales de son efficacité symbolique. Derrière le « feeling » spontané entre patient.es et soignant.es, les dispositions scolaires et culturelles engagent des adhésions et résistances sélectives aux schèmes psy. A travers les concepts de « dispositions émotionnelles » et de « pluralité dispositionnelle », enjeux centraux du « travail sur l’autre » et du « travail sur soi », cinq études de cas mettent à l’épreuve l’hypothèse d’une transformation existentielle par le psychologique.

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